L'origine
Le groupe Corps, Psychose, Psychanalyse s'est constitué autour du refus d'un abandon éthiquement inacceptable pour qui s'engage en psychiatrie, tenant à y faire œuvre de soin.
« Corps, Psychose, Psychanalyse » est un groupe clinique créé en 1981 par quelques soignants d’un service de psychiatrie publique, au 14e secteur de Ville Evrard*, grâce à une entente essentielle entre ces soignants et le médecin chef de ce service, le docteur Guy Baillon. L’un des pavillons de ce 14e secteur était occupé par des patients atteints de troubles psychiques profonds dont la chronicité se trouvait aggravée par les chronicités liées à l'ancienne psychiatrie de type « asilaire ». Les soignants eux mêmes désignaient parfois ces patients comme ceux avec qui « tout » avait été tenté sans amélioration. Ceux avec lesquels il n'y aurait vraiment « rien-à-faire », sinon les soins assurés sur le plan de l'hygiène, la nourriture, les vêtements. Ils se trouvaient ainsi gravement délaissés et privés de contacts tant l'absence de perspectives thérapeutiques et aussi leur état psychique et somatique étaient difficiles à supporter.
C'est dans ce contexte que le groupe Corps, Psychose, Psychanalyse s'est constitué, autour du refus d'un abandon éthiquement inacceptable pour qui s'engage en psychiatrie, tenant à y faire œuvre de soin.
* Il faut, ici, préciser certains aspects des évolutions de la psychiatrie publique au cours de la seconde moitié du vingtième siècle. La politique psychiatrique de secteur a été le choix, en 1972, d'une nouvelle organisation chargée de répondre aux différents besoins psychiques d'une population habitant à l'intérieur de chaque secteur géographiquement déterminé. Lieux d'hospitalisations à plein temps ou à temps partiel, ateliers, centres de consultations pour enfants, adolescents, adultes, équipes de soins et de visites à domicile, appartements thérapeutiques devaient ainsi répondre aux besoins d'accueils et de soins psychiatriques des habitants de chaque secteur. Le Centre Hospitalier Spécialisé de Ville Evrard, lui même ainsi sectorisé, était composé de pavillons ou unités d'hospitalisation à plein temps. Le 14e secteur, celui où s'est constitué le groupe Corps, Psychose, Psychanalyse était, en 1981, composé de plusieurs pavillons. L'un d'entre eux recevait les patients psychotiques évoqués au début de cette présentation.
Approches
Mais comment intervenir lorsque la parole fait défaut ou ne suffit pas à établir un contact ? Comment « prendre soin » de ceux avec qui les relations sont particulièrement difficiles à vivre ? Quelles formes de pratiques et d'attentions développer quand les situations et les relations éprouvent les limites et les identités personnelles ? De telles interrogations s'entretiennent dans ce groupe depuis maintenant plus de 30 ans.
Une ligne directrice s’est d’abord constituée autour d’approches alors dites à médiations corporelles. Des formes d'attentions se sont découvertes, tournées vers les formes de contacts possibles et des remarques concernant les qualités des présences ainsi perçues. Le nom du groupe s'y est ancré, associant de tels intérêts à ceux concernant la psychose et les conceptions psychanalytiques. Hydrothérapie, massages, enveloppements humides en particulier, furent et restent sources de pratiques et de réflexions, entre corps et psychisme. Leurs évolutions ont entraîné des changements d'attitudes soignantes, de gestes, de comportements, lors de relations en quête de mieux-traîtances à découvrir autour de ces patients et avec eux. Autant de développements personnels possibles et de partages, de mises en commun, sources de relances.
« Corps, Psychose, Psychanalyse » aujourd’hui
Depuis sa création, le groupe se réunit une fois par mois. Au fil des années, il s’est élargi à d’autres soignants et d’autres milieux. Il accueille aujourd’hui infirmiers, psychothérapeutes, artistes, étudiants, de milieu psychiatrique et médico-social.
Des rencontres et des colloques organisés, depuis le début, sont des moments d’échanges concernant les divers « arts et métiers » qui s'entretiennent en psychiatrie. Les différences des formations, des pratiques et des engagements se conjuguent, depuis plus de trente ans, dans un groupe où se témoignent les particularités et les complexités des situations et des relations vécues, en psychiatrie, au quotidien. Les exposer et les partager, sans les juger ou les hiérarchiser, déplace les conceptions, les points de vue et les ordres admis.
Entre pratiques et réflexions, chacun y témoigne de ses savoirs et de ses connaissances. Sans prédominance des unes ou des autres, tenant à ne pas s'éloigner du respect et de la considération que mérite le patient psychotique pour ce qu’il exprime de la condition humaine.
Les colloques, les interventions, les formations ont entraîné des écrits et des publications, souvent dits atypiques ou déplacés par leurs thèmes et leurs formulations. Une certaine langue s'y est découverte, librement cultivée et écrite au cours des trente années écoulées. Le Manuel pratique et poétique à l’usage des soignants et autres curieux est le dernier en date. Ce n'est pas un ouvrage collectif constitué de textes personnels juxtaposés. C'est une expérience de work in progress dont la nature créative est apparue au fur et à mesure de la construction et de la rédaction du Manuel. Ce dont il tient maintenant à témoigner.
Corps, Psychose, Psychanalyse est aussi, depuis 2002, le nom de l'association loi 1901 dont le siège social est situé à Ville Evrard.